Comment je me suis débarrassé définitivement de ma phobie des araignées

Arachnophobie! ©Michel Aymerich
Arachnophobie! ©Michel Aymerich
Renate. Parsemée de Mygales... Toutes authentiques, vivantes, mais inoffensives!   ©Michel Aymerich
Renate. Parsemée de Mygales... Toutes authentiques, vivantes, mais inoffensives! ©Michel Aymerich

Comment je me suis débarrassé définitivement de ma phobie des araignées...

Araignée saharienne du genre Cerbalus
Araignée saharienne du genre Cerbalus

Au mois de juillet Laura

 

C'était au mois de juillet de cette année, au bord de la Méditerranée. Son passage illuminait la plage, ajoutant au soleil le rayonnement de sa beauté. Elle avait 17 ans et s'appelait Laura. Elle vendait beignets, chouchous, glaces et boissons. C'était son job d'été afin de financer ses vacances. J'aimais lui acheter un beignet ou une tasse de café. Nous avions sympathisé.

 

Elle prenait toujours le temps de me raconter sa journée et une fois me posa la question de ce que je faisais. Je lui ai alors parlé de mes voyages, des livres publiés, de la photographie animalière. Et quand j'ai évoqué mes photos de serpents, elle m'a spontanément répondu que sa mère en avait très peur. Quant à elle, Laura, c'était les araignées qu'elle craignait. Une phobie selon elle. Je lui confiai alors que très jeune j'avais eu également ce qui pouvait s'apparenter à une phobie de ces arachnides, mais que j'étais parvenu à la surmonter et même à la faire totalement disparaître. Je lui relatai brièvement comment j'avais procédé et l'invitai sans plus de précisions à aller revoir mon site Internet qu'elle avait déjà été visité. Elle avait même lu un article.

 

Je prévoyais de mettre par écrit comment j'avais procédé pour mettre définitivement un terme à ma phobie. Plus précisément que je ne l'avais fait oralement. Mon ami Oussama de Rabat à qui j'avais déjà raconté mon histoire m'avait encouragé à la partager avec le plus grand nombre. Il avait argumenté que cela pourrait aider d'autres personnes. J'avais acquiescé. C'était avant Laura et son beau sourire...

 

Un désir enfin réanimé de partager mon histoire

 

 Mais de retour du Maroc au printemps dernier, j'avais perdu jusqu'à ces derniers jours le goût d'y venir plus tôt. A cela plusieurs raisons. J'avais laissé mes doux amis canidés du camping municipal de Dakhla, désormais exposés à une mort probable. Un assassinat prévisible de l'innocence.

 

 Toujours à Dakhla des amis avaient été contraint de quitter leur travail d'une manière parfaitement injuste, illégale, scandaleuse. Ils avaient été virés sur une base ethnique. Oui, parce qu'ils étaient Français, "de souche", comme il semblerait que cela est été perçu.

 

Consterné, j'avais vu partout, vendu sur les étalages des  kiosques et sur les trottoirs des villes de Dakhla, de Casablanca et Rabat, "Mein Kampf" traduit en arabe. Également des livres sur Hitler, sur d'autres nazis et de l'islamiste Youssef Al-Qaradâwî (1). A bas prix. Cela au vu et au su des citoyens marocains (parmi lesquels, l'infime minorité juive qui tient à ne pas se faire remarquer), des résidents européens et des touristes, sans que cela ne fasse scandale et soit rapporté, dénoncé. Cela me choqua profondément. Et cela continuera de me choquer durablement. Nul besoin d'être Juif pour cela. Ma réaction est entièrement légitime. C'est l'absence de réaction qui pose problème...

 

Tout ceci associé à des événements terribles, dont l'égorgement jusqu'à ce que la tête soit séparée du tronc de mon compatriote, le photographe et guide Hervé Gourdel, au profil si proche de personnes qui m'accompagnèrent à plusieurs reprises dans différentes expéditions. Cette actualité internationale, dont particulièrement le siège de la ville kurde de Kobanê (2) qui menaçait d'être anéantie par les hordes de "l'Etat islamique" (Daech), achevait pour quelque temps de m'ôter le goût de donner suite à mon projet d'article.

 

Les semaines et les mois passant, certains de mes amis qui ont retrouvé leur travail, hélas pas tous, la création inespérée d'un Observatoire Marocain de Lutte contre l'Antisémitisme (3) au Maroc par Omar Louzi, chantre infatigable de l'amazighité, et la résistance héroïque des combattantes et combattants kurdes des Unités de protection populaire (YPG) en passe de remporter la bataille de Kobanê ont participé à la réanimation de mon désir de partager cette histoire que je vous raconte maintenant.

 

Ce poème qui me fit réfléchir

 

Je n'acceptais pas ma phobie des araignées. Déjà très jeune, je ne l'avais intellectuellement jamais assumée. Elle était logiquement indéfendable. Une fois, j'avais lu un poème écrit par un enfant. Nous avions peut-être le même âge. Et cet enfant avait écrit un poème sur une araignée. Je m'en souviens, c'était sur l'Épeire diadème et sa toile. Une araignée qui ajoute au mystère de son existence, l'impressionnant port dorsal d'un dessin en forme de croix semblable à celles qui ornent les tombeaux. Symbole qui dans l'inconscient culturel imprégné de christianisme, que l'on soit croyant ou athée, est associé à la mort.

 

J'étais étonné. D'autant plus que cet enfant manifestait par écrit son admiration de la toile que l'épeire fabrique chaque matin. Toile toujours renouvelée. Toile harmonieuse en laquelle Dame Nature manifestait toute son ingéniosité. L'œuvre d'un arachnide, dont je découvrais qu'un autre et contrairement à moi savait en apprécier la beauté. Et précisément sur cet être qui suscitait chez moi de la répulsion, un enfant peut être aussi jeune que je l'étais, avait écrit un poème élogieux! Cela ne fut pas seulement de la surprise que j'éprouvais alors. Je ressentais une gêne honteuse. Ce poème me fit réfléchir. Alors que les préjugés à l'égard des mal-aimés que sont serpents et scorpions m'étaient complètement étrangers et m'indignaient, j'étais victime d'une forme de phobie à l'égard des araignées. Comment l'accepter à l'égard de ces dernières, alors que je ne pouvais la justifier envers des serpents ou des scorpions? Il s'agissait là pourtant de préjugés du même acabit. Il me fallait, donc, pour être cohérent – et c'était important à mes yeux- déconstruire l'édifice mental sur lequel elle reposait.

 

Une introspection nécessaire

 

Alors une fois, je pris la décision de la surmonter et de l'éradiquer à la source! Pour ce faire, je pratiquais une introspection en profondeur qui m'amena le plus clairement possible à me poser une série de questions. Qu'est-ce que je n'aimais pas chez les araignées et pourquoi? Ce que je n'aimais pas était lié inconsciemment à une peur logiquement absurde de la partie "ventrale" de leur céphalothorax. J'imaginais d'une manière diffuse un centre dangereux d'où partaient les huit pattes (4) qui pourraient m'agripper un doigt. Je comprendrai plus tard qu'ayant entendu dire, enfant, que les poulpes pouvaient mordre à l'aide d'un bec situé au départ des tentacules, j'opérais inconsciemment un amalgame. J'ai d'ailleurs éprouvé longtemps de la répulsion et de la crainte envers ces céphalopodes munis de huit bras. Et le dépassement radical de ma phobie à l'égard des araignées a été un moment décisif qui aujourd'hui me permet d'apprécier sans réserves le déplacement majestueux d'un poulpe.

 

Je me rendis compte aussi que je craignais surtout les "petites" araignées. Certes pas les toutes petites que sont les jolies salticides, mais les araignées "communes" rencontrées au Maroc et en France. Je n'avais, en effet, pas une peur démesurée des grosses mygales. D'ailleurs, une photo montrant un homme couvert de mygales (sans doute de magnifiques mygales mexicaines, Brachypelma smithi) n'avait pas provoqué en moi une vraie répulsion, mais plutôt un questionnement intrigué. Les mygales étant selon toute l'apparence parfaitement authentiques, cet homme savait donc ce qu'il faisait... J'apprendrai plus tard que les mygales ne sont pas dangereuses pour l'Homme. Dans le fonds, les grosses mygales par leur aspect général, leur taille et leur "pilosité", me faisaient inconsciemment penser à de petits mammifères (5). Et puis les mygales semblaient placides. Elles déambulent, en effet, plutôt lentement...

 

Les "petites" araignées quant à elles courent vite, s’enfuient, s'échappent facilement. Et voilà! C'était cela dont j'avais peur. Elles me paraissaient incontrôlables. Un scorpion, je pouvais le saisir par le dard ou le laisser se déplacer sur une main, puis sur l'autre, sachant que dans ces conditions il ne piquerait pas. Il n'allait pas déguerpir et disparaître, comme une araignée pourrait le faire.

 

Un serpent pareillement ne me posait aucun problème. J'aimais leur contact et c'est toujours le cas (6). Depuis très jeune, je savais manipuler une couleuvre. Plus tard, ce sera également des serpents venimeux. Vipères, cobras, bongares... Un serpent, je pouvais le maîtriser en le tenant derrière la tête ou en le tenant par la queue. Mais une araignée... Je n'imaginais pas la saisir, sans risquer de l'écraser entre les doigts ou lui casser une patte. Ce qui ne pouvait en aucun cas correspondre à mon intention. La laisser courir à sa guise sur ma main, voilà ce que j'excluais. Elle allait disparaître de ma vue.

 

L'auto-guérison!

 

Mais pourquoi je ne le souhaitais pas? Que craignais-je? La réponse qui me vint à l'esprit était que dans le fonds l'appréhension qu'elle puisse aller dans mon dos était ce qui me dérangeait au-delà du raisonnable.

 

Je me posais alors la question suivante. Et alors? Si réellement elle part dans mon dos, de quoi donc dois-je avoir peur? La réponse se dessina confusément dans mon esprit, tant elle était contrebalancée par la conscience de son absurdité. Je ne souhaitais pas être mordu! Alors, tout en ayant conscience que ce risque relevait de la plus grande des improbabilités, je pris la résolution de penser: "Eh bien, ce n'est que de cela, dont j'ai peur? Une simple morsure! Une morsure éventuelle qui n’occasionnerait que peu de choses! Eh bien", pensai-je, "qu'elle me morde! Je l'y "autorise", je m'en moque!". Après tout, bien qu'encore enfant, je savais déjà à l'époque que leur grande majorité les araignées n'étaient pas dangereuses. Je ne connaissais d'ailleurs aucun exemple d'espèce de la région de Montpellier où je me trouvais alors qui soit potentiellement dangereuse pour l'homme (7).

 

J'avais gardé une araignée dans un bocal, pendant que je me livrais à mon introspection. Je décidai alors d'utiliser une méthode radicale. Celle d'ouvrir le couvercle et de renverser son contenu "velu" dans mon dos dénudé. Je savais pertinemment que rien ne se passerait. Il n'y avait aucune raison logique à cela. Mais j'avais besoin de ce stratagème psychologique. Alors que je passai à l'acte, je parlai mentalement à l'araignée: "Allez, mords moi, çà m'est égal!". Évidemment, rien ne se passa et l'araignée se contenta de déguerpir, puis d'aller au sol...

 

A partir de ce moment là s'opéra en moi un tournant radical. L'essentiel de ma peur avait disparu. J'en avais détruit le noyau. Ce qu'il en restait, j'ai continué à le démonter. A déconstruire lambeau par lambeau ce qui subsistait. Ainsi, chaque fois que je voyais une araignée en plein milieu d'une toile, par exemple une argiope lobée, je la touchais du doigt provoquant selon la pression soit un balancement de celle ci sur sa toile, soit sa fuite hors du centre vers la périphérie. Quand je trouvais une araignée à l'entrée de son terrier, je plaçais mon doigt au bord provoquant un retrait de son habitante vers le fonds sombre où elle disparaissait. Évidemment l'araignée ne me mordait pas le doigt. Elle évitait la confrontation avec ce prédateur éventuel que je pouvais être.

 

Ainsi, après avoir opéré un tournant radical et l'avoir consolidé, je suis parvenu à voir les araignées, toutes les espèces, quelques soient leur taille et leur morphologie, de manière totalement nouvelle. Ou plutôt, j'ai commencé à vraiment les voir, ce qui m'a permis de pouvoir aimer leur beauté intrinsèque. Aujourd'hui leur anatomie, leurs couleurs, leurs déplacements, leurs toiles, leurs méthodes de chasse, leurs façons de s'accoupler m'émerveillent. Cette peur ancienne que j'ai éprouvée n'est plus qu'un souvenir factuel. Il n'en reste strictement rien au niveau du ressenti.

 

Michel AYMERICH

 

Notes

 

(1) Le 30 janvier 2009, al-Qaradâwî tient ces propos sur la chaîne Al Jazeera :  "Tout au long de l'histoire, Allah a imposé aux [Juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu'il leur a fait — et bien qu'ils [les Juifs] aient exagéré les faits —, il a réussi à les remettre à leur place. C'était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des croyants"

 http://www.memritv.org/clip/en/2005.htm

 

(2)Voir Kobanê-Stalingrad...

 

(3) Sur leur page Facebook, on peut lire la description suivante: "Observatoire qui a pour objectif principal: Dénoncer les antisémites et promouvoir la Paix entre israéliens et palestiniens."

 

(4) La classe des arachnides comprend les acariens, les araignées, les amblypyges, les uropyges, les scorpions, les solifuges, les opilions et d'autres arthropodes chélicérés. Ils se distinguent au sein de l’embranchement des arthropodes par le fait qu'ils possèdent quatre paires de pattes et n'ont ni ailes ni antennes ni mandibules. Leurs yeux sont simples et non composés. Ce ne sont pas des insectes qui, eux, ont six pattes...

 

 (5) Alors que j'habitais l'Allemagne et que ma crainte des araignées n'était plus qu'un lointain et vague souvenir, je montrais à une amie des mygales cédées par un homme qui tombé dans une dépression ne pouvait plus correctement s'en occuper. Elle me dit que ces araignées lui faisaient penser à des "Kuscheltiere" (animaux en peluche).

 

(6) Voir mon article: Réaction face à une coronelle massacrée...

 

(7) Un peu plus tard, j'apprendrai qu'il existe une espèce de veuve noire méditerranéenne (Latrodectus tredecimguttatus), appelée "malmignate", à la morsure douloureuse, mais dont aucun cas mortel semble avoir été rapporté en France...

Divers arachnides: araignées, solifuges, scorpions!

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Commentaires: 1
  • #1

    Olivier (mercredi, 19 novembre 2014 17:29)

    Merci pour votre article :) Perso j'avais peur des guêpes et ma "thérapie" passa par... l'apprentissage et l'apiculture !